L'Exorciste, la suite: petit classique, grosse trouille
L'Exorciste, la suite
de
William Peter Blatty
(1990)
Interprètes: George C. Scott, Brad Dourif, Jason Miller, Scott Wilson...
Scénario: William Peter Blatty
Dir. Photographie: Gerry Fisher
Montage: Todd C. Ramsey
Musique: Barry De Vorzon
Avant de découvrir Le Dernier Exorcisme, retour sur cette suite presque aussi maudite que celle orchestrée par John Boorman.
Petit récapitulatif: 1973, sort sur les écrans L'Exorciste dirigé
par William Friedkin, tiré d'un best seller de William Peter Blatty,
qui adapte lui-même son roman inspiré d'un "authentique cas de
possession" qui serait survenu dans les années 50. A partir de
l'histoire simple d'une jeune fille possédée par le diable, le
réalisateur signait une œuvre phare, sans doute le plus grand film
d'horreur de tous les temps, par sa puissance d'effroi, par sa manière
de synthétiser tous les types de peurs: celles venues de l'enfance, la
suggestion, la répulsion, la perte d'un proche, la peur de la mort. Le
plus grand aussi par sa richesse thématique, déployée tout au long d'un
scénario implaccable qui aborde autant la question de la foi, de la nécessité du mal, du deuil que celle de la famille, de la science
opposée à la religion, de l'archaïsme offrant au passage une vision
métaphorique de l'Amérique des 70's tiraillée par un mal intérieur. Un
classique instantané, dont le vision,age constitue aujourd'hui encore une
expérience éprouvante, et c'est l'un des rares films (le seul?) à
conserver vision après vision son pouvoir de terreur quasi intact.
Immense succès mondial, le chef d'oeuvre de Friedkin appella ses
producteurs à mettre en chantier une suite qui ne s'imposait pas. John
Boorman qui avait refusé de mettre en scène le premier, accepte de
s'atteler à cette lourde tâche, ne cachant pas au passage son mépris
pour le film originel. Ce qui le conduit à livrer une séquelle qui se
voulant plus profonde, ne fait qu'alourdir les thèmes mis en exergue
par le précédent, dans une imagerie new age assez kitsch et avec un
rythme pesant. L'échec retentissant de L'Hérétique annula a priori la
production d'un troisième opus.
Jusqu'en 1990, année où William Peter Blatty parvient à convaincre la
Warner de le laisser adapter lui-même la suite direct de son roman,
Légion (titre américain de cette suite). L'Exorciste, la suite, comme
l'indique son titre français, ne tient pas compte du travail de
Boorman, délaisse New York et les questionnements métaphysiques de
comptoir pour réinstaller son intrigue à Georgetown, 15 ans (17 ans
dans la réalité) après les événements du premier opus. Un tueur en
série au rituel spécifique de de décapitation et de crucifixion sévit
dans la paisible banlieu de Washington. Chargé de l'enquête,
l'inspecteur Kinderman qui avait été témoin du drame de la famille Mc
Neil, ne tarde pas à découvrir que le tueur reprend le modus operandi
du Gémeau, un serial killer pourtant exécuté 15 ans plus tôt. Et il se
pourrait qu'un lien unisse cette étrange affaire à l'exorcisme de
Reagan Mc Neil.
L'Exorciste, la suite, est souvent considéré comme un navet, ce
bien qu'il ait quelques fans acharnés tels que Christophe Lemaire,
ancien de Starfix, critique attiré de Rock'n'Folk. Cependant le long
métrage de William Blatty, bien moins insupportable que celui de
Boorman, a légèrement usurpé sa réputation. Plutôt que de nanar, il
s'agit davantage d'un film malade, tiré vers le bas par des défauts qui
sautent aux yeux, sans cesse rattrapé par des qualités évidentes. Et
surtout ce qui le distingue des tas de mauvais films qui polluent le
cinéma fantastique, c'est qu'il fait peur, parfois même très peur.
Etrangement, les lacunes de ce troisième volet, sont d'ordre
scénaristique (Blatty est romancier, scénariste confirmé notamment de
comédies). D'abord remarquable dans sa manière de poser un mystère,
d'installer ses personnages, le scénario se révèle vite mal écrit,
peinant justement à dépasser cette introduction, ce qui débouche sur un
rythme mollason qui ne s'accélère que sur la fin avec des révélations
amenées coup sur coup, donnant un côté précipité à la dernière partie
et à l'ensemble du film un aspect anarchique, déséquilibré, à des
années lumières de la concision dramatique du Friedkin. Par ailleurs on
soulignera quelques invraisemblances, comme l'amitié qui aurait lié
Kinderman à Damien Karras tout simplement absente du premier film (à
moins que cette relation ne soit dans le roman originel), ou la
réapparition d'un personnage secondaire dans le dernier tiers, sans que
celui n'ait été présenté auparavant comme un acteur important de
l'histoire. A cela s'ajoute des parenthèses mystiques embarrassantes,
proches du kitsch à l'image de cette statue du Christ ouvrant les yeux,
de ce rève baroque, pas loin du ridicule, où des anges attendent dans
un hall d'hôpital gigantesque, antichambre du paradis, qui se veut
probablement une réminiscence du cauchemar du prête dans l'original.
Cette imagerie pieuse, ouvertement chrétienne, avec ses portes de
l'Enfer qui s'ouvrent sous les pieds des pécheurs, apparaît
grandiloquente, déplacée au regard de l'ambiance poisseuse que déroule
le film en parallèle. Incapable d'harmoniser ces deux esthétiques, ou
de les enchevêtrer, Blatty paraît livrer un long métrage inachevé,
indécis, trop plein et bancal à la fois.
Mais là où cette suite surprend, c'est dans les aptitudes à la mise en
scène de l'écrivain. Sans atteindre l'intensité de celle de William
Friedkin (qui en serait capable d'ailleurs?) sa réalisation surprend
par sa précision et son ampleur. Les travellings dans l'hôpital, où se
déroule une majeure partie de l'intrigue, créent une vraie tension, et
donnent aux lieux un fort pouvoir de menace, tandis que certains plans
mémorables distillent la peur avec une notable économie de moyens.
Ainsi cette apparition surgissant d'un couloir pour saisir une
infirmière, filmée en plan fixe large. Et des moments d'angoisse comme
ça, le film en compte plusieurs, souvent marquants. Tout le dialogue où
Kinderman (George C. Scott reprend avec talent le rôle tenu par Lee J.
Cobb, décédé) explique au père Dyer, comment a été tué la première
victime, est d'une puissance de suggestion impressionnante. Ces
passages éprouvants, qui émergent en dépit de la construction
maladroite du script, instaurent un climat de terreur pesant tout au
long du visionnage. La figure du tueur en série qui passe de corps en
corps constitue l'un des atouts de troisième volet. Cette idée que lui
volera plus tard le pas terrible Témoin du mal, installe un climat
paranoïaque qui préside à la deuxième partie du film, construite autour
de la confrontation entre Kinderman et le meurtrier démoniaque. Brad
Dourif par sa présence, son jeu d'acteur, notamment sa diction, fait du
Gémeau une inquiétante figure du mal. Les séquences qui l'opposent dans
sa cellule capitonnée, à Georges C. Scott sont intenses, baigant dans
une ambiance oppressante, claustrophobe à souhait, réhaussée par la
photographie de Gerry Fisher qui s'ingénie à créer des zones d'ombres
sur le visage du tueur dont on ne sait jamais quels traits il va
adopter. Ce travail du réalisateur sur le doute, l'impression, nourrit
la peur émanant de son oeuvre. L'horreur ne semble jamais loin, on
scrute les yeux des malades à l'hôpital cherchant le démon tapit dans
un regard, les pièces vides paraissent abriter une présence malfaisante
toujours à l'affût, prête à surgir... Une scène simple: Kinderman est
chez lui, la nuit, il vient de voir le Gémeau dont on sait qu'il peut
posséder n'importe qui. Arrive alors sa fille, venue chercher à boire
dans le frigidaire. Sa démarche lente a quelque chose du zombie, ses
longs cheveux noirs masquent son visage, sa robe de chambre rappelle
furieusement celle de Reagan. On redoute dès lors, l'instant où elle va
tourner la tête, montrer son visage. Elle s'avance, salue son père. On
craint toujours l'apparition soudaine du démon. Il ne se passe rien,
elle retourne se coucher. Ce passage pourtant est vraiment éprouvant, preuve que le réalisateur est parvenu à installer un climat de menace constante.
A dire vrai les rares moments où Blatty cinéaste s'égare pour de bon,
sont ceux où il cherche à rattraper le premier opus, lorsque vient
l'exorcisme, vite avorté, imposé par les producteurs, infiniment en dessous de celui mis en scène
par Friedkin, handicapant un final chaotique, au reste peu convaincant.
Reste donc en définitive un long métrage de terreur qui en dépit de ses égarements, de ses failles scénaristiques, reste très effrayant. A redécouvrir.