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Zone Fantastique
13 mars 2011

A.I, l'éternité et un jour... 1ere Partie

  imagesQue retenir du foisonnement visuel, thématique, et émotionnel de ce joyau de Spielberg? Une histoire simple racontée sur un mode épique et philosophique? Un sommet du divertissement populaire comme le réalisateur en aligne régulièrement? Sa formidable perméabilité où les génies du défunt cinéaste et de son plus proche successeur se relaient régulièrement? Ou encore cette ellipse de 2000 ans? Tout ça, il faut avoir toutes ses richesses à l'esprit pour analyser le classique mal aimé de Spielberg et lui rendre l'hommage qu'il mérite. 

 Cette première partie de l'analyse centrée sur le scénario offre une entrée en matière générale à l'univers du film. 

  Un Scénario de Steven Spielberg

   Bien que pensé, ruminé même, durant de longues années par Stanley Kubrick, le scénario définitif du film a été rédigé par Spielberg en personne, une première pour le cinéaste depuis Poltergeist (1981). D'ordinaire, le cinéaste peut compter sur d'excellents auteurs, qu'il s'agisse de Steven Zaillian, David Koepp, ou encore Andrew Nicol, bien que ceux-ci n'hésitent jamais à évoquer son implication dès les premières versions.  Certains y ont vu une envie de se rapprocher du statut d'auteur de son prestigieux mentor, plus certainement, Spielberg a sans doute voulu par l'écriture s'approprier le projet, frappé du sceau de Kubrick par les nombreuses années que ce dernier lui a accordé. En résulte un scénario à la structure en trois actes limpide. Le premier narre l'insertion de David au sein de cette famille dont l'enfant a été plongé dans le coma, et comment l'androïde conçu pour être aimé va nourrir le désir de devenir un vrai petit garçon. Le conte de Pinocchio qui trouve forcément dans son esprit un écho au premier degré, le conduit à espérer un jour rencontrer la Fée Bleue, pour qu'elle exauce son voeu. A la suite d'une méprise, ses parents convaincus qu'il a tenté par jalousie de tuer son demi-frère, décident de se débarrasser de lui. Plutôt que de le rendre à ses créateurs qui le détruiront, par affection pour David, sa mère décide de le perdre dans les bois. Ce choix marque la fin du premier acte. Abandonné avec pour seul compagnie un ours en peluche cybernétique, David fera la connaissance Gigolo Joe un androïde conçu pour se prostituer, piégé dans une sombre affaire de meurtre. Lors de sa fuite, David parviendra à se rendre à Manhattan où il reverra son créateur. Dans Coney Island submergé par les eaux, dans les vestiges d'un parc d'attraction il découvre une statue de la Fée Bleue. David attend alors qu'elle réalise son rêve dans la carcasse d'un hélicoptère de la police. La fin du deuxième acte est amenée par la voix off qui annonce pour introduire le troisième mouvement, une ellipse de deux mille ans. Là dans les ruines de l'humanité émerge un vaisseau. Recueilli par des extraterrestres soucieux de connaître mieux l'humanité, dont il constitue un des derniers vestiges, David demande à revivre une dernière journée avec sa mère. Celle-ci lui déclarera son amour, faisant ainsi de lui, le véritable petit garçon qu'il rêvait d'être. Il peut donc s'endormir/mourir, sa quête achevée. 

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  Pour commencer, puisqu'il s'agit d'un aspect difficile à éluder, l'influence de Kubrick sur ce script est plus complexe qu'elle n'y paraît. En effet sa structuration en trois parties, avec chacune une identité bien trempée peut évoquer les constructions scénaristiques kubrickiennes, notamment Barry Lindon, et surtout 2001 L'Odyssée de l'espace auquel on pense souvent, surtout lors du dénouement. Comme celui-ci A.I., se conclut sur une intervention extraterrestre liée à la destiné de l'humanité. Ici les créatures se plongent dans la mémoire des êtres qui habitèrent il y a peu la planète. Ils incarnent la compréhension et la curiosité, par contre à la différence du monolithe ils ne peuvent influer sur le sort déjà réglé des humains. Autant le dénouement de 2001 évoquait la promesse d'une transcendance, autant celui du Spielberg s'avère d'une noirceur absolue. La dernière bribe d'humanité se ramasse non pas dans une ouverture cosmique à relent mystique, mais simplement sur l'amour anthromorphique que voue une machine à sa mère adoptive clonée pour une journée virtuelle. L'enjeu n'est plus comme en 1968 de promettre à l'humanité une nouvelle étape dans son évolution, mais après le stade terminal de la fin du monde, de revenir d'une manière éphémère aux affects fondamentaux de l'âme. Ce uniquement pour un petit garçon cybernétique et sa mère. Les machines ont survécu aux hommes tel que prévu, pour que le témoignage de la beauté de l'esprit humain soit parachevé, il fallait que cette mère avoue à son enfant artificiel son amour. Voici la dernière étape pour l'Homme, mise en question au début du film, savoir aimer à son tour la machine. Noirceur et douceur se confondent dans cet épilogue terriblement émouvant, spielbergien dans son ton, sans doute Kubrickien par son aspect casse-gueule. Toujours est-il que Steven Spielberg va au bout de son propos, assume le côté sombre, mieux encore le fait donc coexister avec la veine sentimentale qu'on lui connaît (et reproche souvent méchamment). Ne retenir que l'un ou l'autre ne rendrait pas justice à l'admirable ambiguité de ce final bouleversant. Dans un ordre similaire, considérer que le vrai dénouement se situe sous Coney Island face à la Fée Bleue s'avère faux, dans le sens où David se retrouve confronté à du faux. Sa quête ne peut se conclure que face à l'humain, puisque comme il a été dit l'enjeu du film découle également de la faculté de l'homme à aimer au-delà de la discrimination sa créature artificielle. La vraie fée bleue ne peut être que Monica. Elle ignore son statut, le pouvoir de ses mots (à la différence des termes qu'elle emploie pour activer David) tout comme le méca ignore la dimension métaphorique du conte. David en effet s'imprègne du conte de fées de manière littérale, puisque pourvu d'une intelligence logique, mais dépourvu de l'inconscient à laquelle s'adresse le conte de fées, il en a une lecture littérale. 

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 A dire vrai de Stanley Kubrick on identifie davantage des structures binaires, par exemple il faut voir à quel point Orange Mécanique et Full Metal Jacket se répondent en miroir. Le premier propose une déshumanisation d'un esprit libre de commettre le mal en seconde partie, tandis que le second imagine un esprit vierge conditionné à perdre son humanité en première partie de métrage, avant de la retrouver in fine, à l'issue de la seconde en prenant le choix (liberté éprouvée) de tuer une agonisante. De même l'ascension de Lindon réglée en deux temps égaux, en dépit d'un troisième acte ironique, grinçant à souhait. La structure ternaire d'A.I. évoque davantage un scénario classique. En conteur obsédé par la réception de ses histoires, bien plus que son prestigieux alter-ego, Spielberg va truffer son oeuvre d'indications narratives. Le prologue permet de poser le double enjeu une machine aimante/un humain aimant. Pinocchio que lit David vient renforcer le lien entre l'oeuvre Collodi, et le sort du méca qui se joue sous les yeux du spectateur. La séquence du docteur Sait Tout, rappelle lourdement cette analogie. Par ailleurs, il faut dire qu'à côté de ça, le cinéaste qui a toujours été un inventeur de formes, un aventurier à la remise en question perpétuelle, surtout depuis la dernière décennie, aborde des thèmes peu familiers au public occidental. En effet hormis Terminator 2 sur un mode ludique, quoique formidablement écrit (l'humanisation d'une machine de guerre), la trilogie Matrix (le premier venait de sortir, le séisme thématique allait survenir avec les deux autres bien plus profonds et ambigus) et surtout de Blade Runner dont il se rapprocherait le plus, aucun film live occidental (rien à voir avec la japanimation dont c'est un des motifs phares) n'était allé aussi loin dans le questionnement de l'intelligence artificielle. L'opus de Ridley Scott brouillait les pistes dans une réflexion sur le sens de la vie d'un androïde et la paranoïa émanant de la différenciation de plus en plus floue entre organique et machinique. A.I., approfondit ces thématiques, en parlant de l'imitation du point de vue d'une machine. Le monde lui apparaît forcément étrange, avec ses rites comme manger, rire, qu'ils imitent les vidant de leur substance. A ce sujet la séquence de l'éclat de rire, voué à rester dans les mémoires des cinéphiles relève de l'effroi le plus pur. David cherche son humanité dans l'imitation des humains dans leurs actions les plus primaires, et ritualisés. Manger c'est aussi communiquer tout en répondant à un besoin élémentaire du corps, dans les deux cas, quelque chose lui échappe. Ce point de vue d'une machine, rarement adoptée d'une façon aussi tranchée dans le cinéma actuelle débouche sur de beaux moments de cinéma, telle que cette simple phrase traduisant la logique d'une machine sociabilisant froidement, que prononce David en entrant chez sa famille d'adoption "J'aime beaucoup votre parquet". Il se dégage de plusieurs séquences mettant en scène David un drôle de sentiment de peur. On y reviendra... 

  Le script rédigé par Spielberg sur la base d'une histoire de Ian Watson accuse quelques faiblesses, attestant d'un manque de pratique scénaristique. A commencer par un rythme parfois un peu hésitant, très long, notamment au début. On peut imputer cela aux nombre d'informations à faire passer (objectifs des personnages, enjeux, objectif thématique, informations théoriques...) dans cette introduction essentielle, qui donne un peu l'impression que le second membre du film manque d'ampleur, en dépit de sa traduction magistrale à l'écran. Par ailleurs, à de nombreuses reprises les enchaînements paraissent forcés, tels des deus ex machina. Si l'épisode de la mèche de cheveux passe très bien, celui de la piscine arrive trop tôt, sans avoir laissé le temps aux parents de douter de la bonté d'âme de David.  S'ensuit un pivot narratif un peu brusque, qui colle cependant avec la brutalité de l'abandon de David. D'une manière analogue, plusieurs situations dont se sort David à l'instar de la Flesh Fair, passent mal. Difficile d'isoler le problème précis, peut-être un manque d'implication émotionnelle qui fait qu'à cet instant on n'est pas assez avec le personnage ou que l'on sache pertinemment qu'il s'en tirera indemne. Pareil sa rencontre avec son créateur a quelque chose d'avorté, manque d'un paiement bien qu'il ne s'agisse pas pour l'enfant-robot de son objectif central, malgré tout on reste sur notre faim. Pareil pour l'intrigue qui pousse Gigolo Joe à fuir avec David, jamais le fait qu'il soit recherché par la police n'ajoute du conflit et par conséquent de la dramatisation à l'intrigue. Comme si tout entier rivé à son protagoniste Spielberg n'accordait que peu d'importance à son partenaire. Malgré tout, lorsque ce dernier disparaît, sans doute par la grâce du jeu de Jude Law on est ému, ses adieux de compagnon route ont une belle force. Surtout elle témoigne d'une conscience de l'existence, d'une connaissance du sort qui l'attend d'autant plus cruelle. "Dis-leur que j'ai existé...", lance-t-il soulevé vers le ciel. Un plan somptueux, qui renvoie bien entendu à la stature démiurgique atteinte par l'Homme en créant la machine à son image. Des carences d'écriture, qui vision après vision disparaissent, effacées par la puissance d'évocation de la mise en scène. A suivre pour une seconde partie qui abordera la question de la représentation à l'image du parcours du héros ainsi que des thématiques en un système riche de motifs et symboles...

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