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Zone Fantastique
18 septembre 2010

La Machine à fantasmes: Silent Hill 2 de Masashi Tsuboyama

  UnknownEn attendant l'analyse promise de la trilogie Matrix, qui me demande un certain temps, et ne pourra être lisible qu'à la mi-octobre je pense (en même temps ce ne sont pas les excellentes analyses de l'oeuvre des Wachowski qui manquent sur le net), en voici une petite du très beau titre de Konami, sans doute le volet le plus puissant de la série... 

    Les premières images de Silent Hill ne donnaient franchement pas envie. Ses graphismes moyens enveloppés dans une espèce de brouillard assez mal fait, ne présageaient rien de bon. Surtout que ce titre présenté comme un survival horror éprouvant, devait s'imposer face à la série des Resident Evil, dont le second opus avait su imposer définitivement la saga de Capcom comme le maître étalon du survival horror sur consoles. Seulement voilà, lors de sa sortie le jeu de Konami a vite mis à l'écart son prestigieux concurrent. On attendait un jeu effrayant, mélange d'action et de panique comme Resident Evil 2, et voilà que les joueurs se retrouvent avec entre les mains, une oeuvre ô combien plus mature, à l'atmosphère tour à tour fascinante, terrifiante et mélancolique, où le dégommage de monstres n'est plus qu'une solution désespérée, , où l'angoisse ne quitte pas d'une seconde le joueur. Pas question pour le réalisateur Akihiro Imamura de sortir les effets chocs, d'aller provoquer le sursaut, non son jeu se ponctuent d'instants malsains, tel que cet écran de supermarché diffusant l'appel au secours de la fille égarée d'Henry. Pareil pour ses ersatz de bébés peuplant les couloirs de l'école maternelle, qui restent en mémoire des années après la partie terminée. Dérangeant est le mot qui revient lorsqu'on évoque ce premier opus, dont l'impact sans précédent (Mad Movies le classes aux côtés des 24 films les plus effrayants de l'histoire du cinéma) rend même caduque l'excellent Resident Evil 3 qui sort un an plus tard.Le succès aidant, Konami lance une suite, qui sort deux ans après sur console puis en 2002 sur PC dans un director's cut.

  Le premier Silent Hill bénéficiait d'un scénario où se mêlait une imagerie cauchemardesque parasitant un cadre hyper réaliste de bourgade américaine, à une histoire un peu bancale de secte satanique. Sans rien perdre de l'ambiance particulière de l'opus matriciel, cette séquelle de Masashi Tsuboyama, propose un script d'une force rarement vue dans l'univers vidéoludique. Le jeu débute sur une aire de repos où James Sunderland qui s'apprête à pénétrer dans la fameuse ville, doute de la réalité de la lettre qu'il a reçu de sa femme Mary, décédée il y a quelques années et qui l'invite à le rejoindre dans ce qu'elle nomme leur "lieu à tous les deux". Il s'enfonce alors dans la brume de Silent Hill pour affronter ses démons et découvrir la vérité. Celle-ci, trop douloureuse avait été enfouie dans son inconscient: afin d'abréger les souffrances de son épouse Mary James l'a assassinée en l'étouffant avec un coussin sur son lit d'hôpital. Une fois réconcilié, il devra affronter le double maléfique de sa défunte femme, Maria, figure de la tentation (érotique), ainsi que de la rancoeur. 

 Tournant le dos aux sectes, tout en conservant une imagerie religieuse ramenée à une valeur symbolique, du bien et du mal, ce second épisode transforme la bourgade maudite en un univers mental complexe, dont la source est le traumatisme enfoui de James. Coexiste dans ce no man's land, l'innocence, incarnée par Laura fillette qui avait sympathisé avec Mary lors de son séjour à l'hôpital, Angela une victime de viol, et le mal, qui prend les traits de Maria copie nymphomane, émanation des tendances vengeresses de Mary. Entre les deux, comme pour donner chair à la lutte intérieure de l'homme Edie, un pauvre type, solitaire, victime toute désignée de la pression des autres, et bourreau, lorsqu'il franchit la ligne pour devenir un assassin. De l'idée classique, maints fois vus au cinéma davantage encore dans la littérature, de la ville souillée par des croyances hérétiques, le scénariste Hiroyuki Owaku transforme de la sorte Silent Hill en miroir de l'angoisse du protagoniste. La bourgade reste donc un endroit vide qui se peuple progressivement de monstres venus se dresser sur le chemin du héros. Ici leur présence se légitime par le fait qu'une partie de James ne veut pas connaître cette vérité, sans laquelle il a vécu durant des années. Le joueur donne vie à la volonté de savoir du personnage central. L'introduction, une longue, magnifique course dans les bois en plan séquence, sans hors champ, où les présences hostiles sont suggérés par le son, donne à voir (et à arpenter) un chemin symbolique, qui conduit James vers Silent hill (premier degré) autant que vers ses démons intérieurs (second degré, métaphore). Effrayants, les monstres par leur obscénité convoquent une image dévoyée de la révélation. Face à la vérité terrible, quoique rédemptrice, derrière laquelle court James, ils incarnent les pulsions primaires de ce dernier, son ça en quelque sorte. La scène où deux monstres s'accouplent jusqu'à ce que l'un d'eux meure sous le regard de James illustre cette idée. Une manière de traiter d'un mal insécable présent en chaque chose, ici l'amour, ravalé au rang d'accouplement mortifère. Un passage dérangeant, comme celui, où le personnage passe dans sa propre tombe. Par cette scène les créateurs mettent en scène l'idée que James pour accéder à la vérité, doit passer du côté des morts, y rejoindre sa femme. D'un point plus "psychanalytique", il s'agit pour lui de tuer son ancien moi , de renaître au bout d'un couloir d'obscurité qui le conduit vers son passé oublié. Les énigmes tordues qui jalonnent le jeu, dans ce qu'elles empêchent le joueur/son avatar de progresser, représentent dans un ordre d'idée similaire des créations de de l'inconscient de James, qui l'empêchent d'avancer vers la rédemption. 

  En adéquation avec son fond, Silent Hill 2 devient également une machine qui puise dans l'inconscient collectif par le biais de références à l'art. Bien entendu les emprunts esthétiques au cinéma, décelable dès le premier opus très inspiré de L'Echelle de Jacob (le grand modèle de toute la série), ne manquent pas. Ce second épisode par son jeu d'ombre et de lumière renvoie à l'expressionnisme, à cette façon magique qu'ont le cinéma et le jeu vidéo de créer des idées, des émotions et des sentiments par l'usage strict d'images. La balade en barque qui conduit James de l'autre côté de la ville évoque pour sa part L'Aurore. L'hôtel où il arrive, rappelle beaucoup La Maison du diable. Si dans la diégèse la bourgade représente un vampire absorbant l'inconscient des personnages pour le traduire en images cauchemardesques, la création du jeu lui-même fonctionne sur un modèle identique de reprises d'éléments artistiques. Outre le cinéma, la série partage avec la littérature de Clive Barker un goût similaire des univers parallèles déviants. Les créatures innommables qui peuplent Silent Hill doivent beaucoup à celles de H.P Lovecraft, tandis que le caractère très tangible de la réalité vouée à glisser sous nos pieds peut rappeler la manière dont King construit ses histoires, souvent autour de bourgades anonymes, où se cache le mal absolu. Le personnage d'Edie ne ferait d'ailleurs pas tâche dans l'un des romans du patron de l'horreur littéraire. Cousine, de Twin Peaks, quoique arrivée à un stade bien plus pathologique, la ville de la colline silencieuse possède quelques points en commun avec l'univers de David Lynch, en autres l'inquiétante étrangeté, les dérivations narratives et aussi donc, sa peinture cauchemardesque de l'Amérique profonde. La manière dont James Sunderland apprend la vérité s'inspire grandement de Lost Highway.   En dehors de l'influence revendiquée de Bacon, les arts plastiques ne sont pas en reste dans Silent Hill 2. Les monstres sans têtes ressemblant à des mannequins désarticulés sont sans doute inspirés de Hans Bellmer, le menu de sauvegarde rappelle Van Gogh, les bouches monstrueuses, les orifices horribles chassent sur des terres voisine de Arnulf Rainer. La liste pourrait continuer encore longtemps. La manière dont les créateurs parviennent à créer un univers cohérent à partir de références éparses, laisse sans voix. Au final rien ne ressemble à ce jeu, à part bien entendu un autre épisode de la saga. Cette manière d'absorber des références puisées dans d'autres arts pour se construire, permet à Silent Hill, le jeu, de se poser en vampire culturel, brassant des idées diverses pour donner vie à son propre univers. En résulte de fait, une adéquation entre le fond, un homme perdu dans une ville fantôme qui se nourrit des peurs ainsi que de l'inconscient de ceux qui y pénètrent, et la forme, où le jeu puisque le jeu se construit lui-même dans la compilation/transfiguration d'emprunts hétéroclites. Silent Hill 2 comptent parmi les oeuvres qui ont fait entrer le jeu vidéo dans sa phase la plus stimulante, dans le sens où tout en tirant profit de toutes ses spécificités (narration étalée sur plusieurs heures, implications émotionnelles fortes du joueur...) il se posait en tant qu'art moderne, capable de digérer les inventions des autres formes de création. 

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