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Zone Fantastique
5 février 2011

Amer

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de

Hélène Cattet et Bruno Forzani

Scénario: Hélène Cattet et Bruno Forzani

Avec: Cassandra Forêt, Charlotte Eugène-Guibaud, Marie Bos... 

Photographie: Manu Dacosse

Montage: Bernard Beets 

Musique: Ennio Morricone  

Et si la grande expérience cinématographique de l'année passée était dans ce court premier long plutôt dans le trop long dernier opus de Gaspard Noé?

Ana à trois moments de sa vie sans cesse sur le fil du rasoir. Quelle soit enfant, ado, ou adulte, une menace aux visages différents, mais toujours sensuelle et mortelle rôde autour, prête à l'enserrer à chaque instant. 

Difficile d'aborder un objet aussi ouvertement sensitif qu'Amer d'une manière analytique ou rationnelle. Se donnant davantage à ressentir, le premier long métrage d'Hélène Cattet et Bruno Forzani, une fois admis son profond radicalisme, courageux jusqu'au suicide commercial (l'échec du film en salles semble logique), ne peut laisser de marbre. Bien que revendiquant l'héritage de l'horreur italienne telle que Bava et Argent l'ont portée au pinacle, citant la résidence de De Profondo Rosso, le film reste cependant une appropriation unique des codes, esthétiques et thèmes abordés par ces deux cinéastes. On reconnaît vite, le goût de l'architecture des deux maîtres, en particulier du second, auquel le couple de réalisateurs empruntent également la dualité victime/bourreau centrale dans le récit, qui explose lors d'une des séquences de fin où les sévices infligés se muent en jeu sadomasochiste où l'on consentement se devine subtilement. Un morceau de bravoure stressant, où la maîtrise des composants principaux du septième art trouve encore une fois dans le film une belle illustration, le son, le découpage, le montage et la lumière se complétant pour aboutir à une scène intense tant pour le personnage central que pour le spectateur. Ce soin maniaque apporté à chaque élément constitutif d'un plan parcourt toute le long métrage, lui donnant ainsi sa facture atypique, quasi expérimentale, et orientant le récit, fragmentaire, vers la vision du monde perçue par un esprit dérangé, en l'occurrence celui d'Ana. Pratiquant un découpage de la fragmentation via les gros plans, les sautes d'axes, les déformations par le flou,  Hélène Cattet et Bruno Forzani distordent l'espace et le temps à de nombreuses reprises. Les détails occupent tout l'écran au détour d'insert sur des partis du corps, souvent ces gros plans extrêmes renvoient à la sexualité, au désir masculin comme féminin liés à la mort. A ce propos le film peut se lire comme une quête fantasmée par l'héroïne d'une jouissance limite trouvant son aboutissement dans le trépas. L'organisation de ses deux motifs dans le film repose sur une base qui apparaît de prime abord psychanalytique. Protégée de la vision de son grand-père décédé, Ana, fuit une présence hostile qui prend les traits d'une femme en noir ce qui la conduit à surprendre ses parents en plein coït, ce qui visiblement (le moment est dramatisé à souhait par un enchaînement rapide de plans fragments du visage de la gamine) la trouble au plus profond. Une interprétation psychanalytique du métrage qui servirait dès lors de fil conducteur au récit, justifiant chacun de ses partis pris par l'envie d'extérioriser cet univers mental chamboulé. D'autant que c'est au sein du foyer du traumatisme initial que le chemin d'Ana trouve sa conclusion. S'ouvrant d'emblée dans l'étrangeté, avec une gamine peut-être déjà propice au délire, il n'est pas non plus interdit de prendre le film comme une simple expérience, traitant de fantasmes, et plus largement de la peur de les assouvir et de ne pas chercher de justification à la nature sans concession de ce premier ouvrage. 

 Quoiqu'il en soit, la limite (et là c'est bien un avis subjectif) d'Amer réside dans sa forme cohérente mais répétitive qui peut vite devenir lassante. Pensée comme un long morceau de bravoure, le film souffre d'un manque réel de progression dramatique, tout se déroulant ainsi à un même niveau, exception faîte à nouveau des paroxystiques dix dernières minutes. Sans réelle empathie pour un personnage réduit à un vecteur d'images et d'idées, difficile de dépasser le stade du pur plaisir esthétique, le parcours de cette femme mystérieuse a beau être jalonné de plans mémorables, mais au final ils sont vides de puissance émotionnelle. Certes la peur est au rendez-vous lors du dernier quart d'heure, davantage liée à celle de la souffrance qu'à l'angoisse de voir mourir Ana. De même qu'un hiatus se créé au coeur de l'oeuvre, partagée entre une dimension purement sensitive dont les auteurs ont sans doute pressenti justement les limites, et une interprétation (symbolique, psychanalytique...) à chercher dans la plupart des plans, ce qui parasite une  réception purement brute des images. Malgré tout, la facture esthétique particulière d'Amer, référencée quoique jamais assujettie à ses modèles, sera ce qui restera du film, véritable ovni au coeur d'un cinéma français frileux. 

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